Les Sources de Terres Rares de la Transition Énergétique
Par Philippe Thiran (Chronique 12)
Préambule :
80 Jours Voyages est favorable à la préservation de la nature. La limitation de la consommation énergétique permettrait de réduire au strict nécessaire l’exploitation des ressources de la planète. Pour autant, le réchauffement climatique, l’évolution de la société et la géopolitique impliquent de se pencher sur la transition énergétique dont les Terres Rares sont l’une des pierres d’achoppement. A ce titre, il est important de comprendre l’utilité de ces Terres Rares, connaitre les gisements disponibles et potentiels et réfléchir aux possibilités d’exploitation avec ses conséquences pour la nature et les populations.
Introduction.
L’importance des Terres Rares (en abrégé: REE, Rare Earth Elements) a été mise en évidence dans la chronique 11 qui traite des ressources minérales nécessaires pour assurer la transition énergétique.
Les plus demandées sont les Terres Rares légères (LREE). Celles-ci regroupent les 7 premiers éléments des lanthanides, lesquels se retrouvent le plus fréquemment dans la monazite et la bastnaésite. Les LREE interviennent dans la fabrication des moteurs et accessoires des véhicules électriques, des pales et des générateurs d’électricité des éoliennes, et de tous les appareils digitaux,
Les 7 autres regroupent les Terres Rares lourdes (HREE), qui se retrouvent principalement dans le xénotime, un phosphate d’yttrium. Les HREE permettent en outre de garantir à haute température les propriétés des aimants permanents des moteurs électriques.
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Types de gisements.
La littérature divise les gisements en deux catégories: les gîtes primaires associés à des processus internes de la Terre, magmatiques par exemple, et les gîtes secondaires liés à des processus d’altérations des roches, comme l’érosion.
Parmi les nombreux gîtes primaires, ceux de carbonatites sont les plus exploités étant donné leur contenu relativement élevé en REE (de 1 à 6%). Les carbonatites sont explicitées en annexe. Parmi les gîtes secondaires, ce sont ceux liés aux argiles et aux latérites (sols tropicaux ferrugineux) qui sont les plus riches en REE.
Gisements en exploitation.
Parmi les gîtes primaires, le plus important est celui de Bayan Obo en Chine, suivi de Mountain Pass aux USA.
Bayan Obo, situé dans la province de Mongolie Intérieure, est actuellement le plus grand site d’extraction au monde de REE, incluses dans des carbonatites, minéralisées par la monazite et la bastnaésite. La monazite est un phosphate qui contient les lanthanides légers (LREE), mais aussi du thorium lequel est radioactif, ce qui complique la récupération des LREE. La bastnaésite qui est un carbonate de fluor également riche en LREE, ne contient pas cet élément dangereux.
Mountain Pass, situé en Californie, est actuellement le deuxième site d’extraction par importance qui est aussi associé à des carbonatites. Sa minéralisation est favorable au processus de récupération car elle ne contient que la bastnaésite avec tous les éléments légers (LREE) des lanthanides. Après avoir été arrêtée, cette mine est à nouveau en exploitation.
D’autres gîtes primaires mais d’origine magmatique alcaline, se situent en Russie et en Suède. Leur teneur en LREE est plus faible ( environ 2 %) que celle des carbonatites.
En Russie, ces gîtes se situent au nord-ouest du pays dans la péninsule de Kola, adjacente à la Finlande. Y est actuellement exploitée la mine de Lovozero dont le minerai principal de REE est la loparite, un oxyde de titane, moins riche en LREE que la bastnaésite mais contenant des minéraux intéressants comme le lithium et le zirconium.
En Suède, à l’ouest de Stockholm, c’est la mine de Bastnäs, qui est actuellement en exploitation. C’est là que fut découverte le bastnaésite. Ce gisement serait dû au phénomène de skarn, métamorphisme de contact avec des granites et enrichissement en minéraux par des fluides hydrothermaux.
Les gîtes secondaires en cours d’exploitation sont de moindre importance en volume mais peuvent contenir des REE en pourcentage supérieur à celui des gîtes primaires. C’est le cas du gisement latéritique de Mount Weld en Australie dont la teneur en REE dépasse les 8%. Il est situé à Laverton dans la partie ouest du pays. De ce gisement sont extraits des REE et d’autres éléments importants comme le niobium et le tantale. Il est la propriété de Lynas Rare Earth Ltd, société australienne qui possède d’autres centres d’exploitation et qui s’avère devenir un producteur de REE permettant de réduire leur dépendance de la Chine.
D’autres gisements secondaires sont exploités en Chine (RPC) et en Inde, mais leur production de REE est très faible.
Concernant la production de ces différentes exploitations, elles ne sont publiées que globalement avec éventuellement le pourcentage du pays. Comme indiqué dans la Chronique 11-1° partie, la production mondiale de REE exprimée en tonnes d’oxydes, a été estimée à 345.000 t pour l’année 2022, dont 210.000 t soit 60% en Chine et 43.000 t soit 12% aux USA. Par ailleurs, plus de 90% des oxydes de REE ont été raffinés en Chine et le sont encore actuellement.
Gisements à haut potentiel.
La Norvège, la Finlande et la péninsule de Kola en Russie renferment des réserves importantes et intéressantes. Les gisements y sont associés aux carbonatites. Ceux de Kovdor et d’Afrikanda renferment à eux deux un volume impressionnant estimé à 1500 millions de t de REE. Par comparaison, ceux de Norvège et de Finlande sont plus modestes étant estimés à 85 et 250 millions de t respectivement. Si la teneur en REE de ces gisements est faible, soit moins de 1 %, ils contiennent d’autres minéraux intéressants pour leur potentiel à REE, comme l’apatite, un phosphate de calcium fluoré.
Mais c’est le Groenland qui permettrait de réduire significativement (environ de 30%) la dépendance chinoise pour les oxydes de REE. La province magmatique de Gardar, au sud du pays contient en effet un volume impressionnant de réserves estimé à plusieurs milliards de tonnes contenant au moins 1 % de REE et d’autres éléments importants comme le niobium et le zirconium. Les REE sont logées dans des complexes alcalins à base de syénite localement associés à des carbonatites.
Les difficultés de mise en exploitation de ces gisements à haut potentiel sont nombreuses. Au Groenland, c’est surtout le manque d’infrastructures telles que les ports en eaux profondes, les centrales électriques et la main-d’œuvre qualifiée qui à ce jour font défaut, sans oublier les conditions climatiques. Dans les autres pays, ce sont essentiellement les procédures administratives et les oppositions de la population locale qui freinent et qui peuvent empêcher la délivrance des permis nécessaires, même dans des régions peu peuplées.
A titre d’exemple, en Suède dans l’extrême nord du pays à Kiruna, la mine de fer la plus importante d’Europe ( 80% du minerai extrait) est en exploitation depuis plusieurs décennies. A proximité, a été découvert le plus grand gisement de REE connu en Europe. Actuellement le permis d’exploitation est embourbé dans les procédures administratives et suscite l’opposition de la petite population locale. Comme pour la mise en exploitation d’un tel gisement, il faut compter 10 à 15 ans, la dépendance de la Chine durera encore longtemps.
Recyclage.
Actuellement le recyclage des REE est très faible, 1% de la production. La difficulté provient de séparer les divers éléments en poudre comprimée, comme le sont les constituants des pales des éoliennes ou de récupérer des éléments aux propriétés similaires comme dans tous les appareils digitaux.
Conclusions.
Pour satisfaire les objectifs de la transition énergétique, il y a trois défis à relever pour les REE:
– la production de REE raffinées devrait être multipliée par 7 d’ici 2050,
– des moyens d’extraction non polluants, alors qu’actuellement la sévérité de la pollution entraine cancers et malformations des nouveaux-nés dans les zones d’extraction,
– un accroissement significatif du recyclage.
Annexe: Les Carbonatites.
Les carbonatites sont des roches magmatiques, intrusives ou extrusives, qui contiennent au moins 50% de carbonates, généralement de la calcite et de la dolomie, et des carbonates de calcium. Elles sont pauvres en silice, moins de 2 %, très fluides et à température relativement basse, soit entre 500 et 800 °C. (photo 6).
Leur pourcentage dans l’ensemble du magma riche en silice (plus de 40%) est très faible. Elles se distinguent de celui-ci par un processus de non-mélange, appelé “immiscibilité”. Certaines sont associées à des magmas silicatés enrichis en alcalis (sodium et potassium) et qui sont appelés natrocarbonatites, tout en restant distinctes de l’ensemble des magmas silicatés. Ce type de magma est important car il est riche en lanthanides lourds, les HREE.
Un seul volcan actif au monde émet des carbonatites. Il s’agit de l’Ol Doinyo Lengaï, situé au nord de la Tanzanie, près du lac Natron, connu par ses colonies de flamants roses. Les Massaï le considèrent comme abritant leur dieu Engaï. Les carbonatites émises par ce volcan sont en réalité des natrocarbonatites, qui blanchissent en refroidissant, laissant croire que la partie supérieure du volcan est couverte de neige. Les détails sur la constitution de ce volcan, son fonctionnement et son évolution sont donnés dans les n° 208 et 212 de l’Association L.A.V. E.
Sources bibliographiques.
- Revue Géologue, n° 204, Article sur réserves, extraction et recyclage des Terres Tares, Collectif, 2020,
- Bulletins de l’Association Géologique du Brabant Wallon, n°222, Christian Demaret, 2015,
- divers articles de revues et journaux, 2023 et 2024.
Pour les Carbonatites,
- les Revues L.A.V.E. n°208 et 2012, articles de Sylvain Chermette, l’Ol Doinyo Lengai, 2022, 2023,
- Cours de volcanologie de Jacques-Marie Bardintzeff, 6° édition, 2021, paragraphe 5.6: Immiscibilité.
- Article de Ludovic Leduc pour Futura
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